Vers le récit relationnel – Changer de rapport au savoir, à soi et au monde – Flux de conscience #2

Mémo vocal, octobre 2021

NB : Les “critiques” émises tout au long de mes réflexions sont d’abord adressées à moi-même, comme prise dans des manières systémiques de construire les savoirs « scientifiques », qui passent à travers moi – et tentant de m’en défaire, de déplier le milieu dans lequel je suis prise. Je fais tourner la ritournelle pour tenter de trouer la trame. Ces pensées en flux ne sont pas des critiques adressées à mon entourage. Si vous voulez vous joindre à la ritournelle, pour en sortir à plusieurs, bienvenue. Je sais combien c’est difficile et je ne prétends pas y parvenir.

Raconter à partir de fils conducteurs, c’est-à-dire de lignes qui composent les êtres. Une autre manière de raconter les entretiens qui ne soit pas une manière extractiviste de la récolte de données. Et cela justifie en soi la reprise de mon travail de thèse : travailler à une forme de narration, une fabulation qui mette en valeur ce qui a été raconté à partir de lignes de sens , que l’on ne coupe pas. On en met pas les choses en morceaux. On se charge soi des importances qui ont été confiées par d’autres, et au contact desquelles on s’est mise, avec lesquelles on a fait alliance : avec des importances et des attachements. On raconte les intensités ressentis. Ce n’est pas un récit des faits récoltés (matter of facts), c’est un récit relationnel (matter of care). C’est cela que je cherche à faire. M’impliquer dans le récit, ressentir la relation. Comment, sous quelle forme ?

J’ai choisi par exemple « je Te raconte ». Cela m’a paru être une des manières les plus justes de faire récit pour me relier et créer des récits qui relient aux importances avec lesquelles j’ai fait alliance. Est-ce que depuis 10 ans, j’ai rompu certaines alliances possibles à l’époque ? cela vaudrait aussi la peine de le dire. Nous ne sommes pas sur des matériaux à extraire, que nous analysons, mais ce sont des rencontres qui rendent le monde intelligible autrement et qui activent une multitudes de possibles et d’appels aux mondes réels.

Nous fabriquons des savoirs dans ces manières-mêmes de raconter, à propos de trajectoires. Nous essayons différents types de “racontage”¹. L’analyse du type de celle menée dans la thèse est encore objectivante : j’essaye de passer à une analyse non extractiviste, une façon de raconter le monde non extractiviste, qui ne cherche pas à mimer l’objectivité pour se donner une légitimité, mais qui trouve sa légitimité dans le soin qu’elle apporte aux importances confiées. “Je Te raconte”, c’est aussi une manière de vérifier auprès de la personne concernée que ce soin a été bien pris et de ne pas gommer la multiplicités des voix tissées dans la narration.

Raconter la thèse par les bribes, c’est une manière de mettre ensemble, de remembrer ce à quoi l’on porte une attention particulière et qui a été supprimé dans l’ontologie extractiviste. Analyser en morceaux reviendrait à démembrer, et remembrer reviendrait à autre chose que de « coder des entretiens ». Remembrer c’est remettre en relation des attachements, des nœuds. Il s’agit ans mon travail de l’autre livre, de focaliser sur différentes parties d’un tissu que je ne découpe pas, et que je rends présent comme trame. Ne pas démembrer pour raconter, nouer les fils ensemble et thématiser les nœuds pour que l’on sente ce tissu, même si on n’en perçoit pas très bien toute l’étendue : sentir dans quelle trame on se trouve (ensemble autrice, enquêté.e-auteur.e et lecteur.ice).

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Inspirations et langage : enquêtes de Vinciane Despret, Emilie Hache (“ce à quoi nous tenons”), conversations et compagnonnage de terrain avec Joëlle Le Marec², conversations et ritournelles avec Marc Jahjah, Yosra Ghliss et Léna Dormeau, travail de Maria Puig Della Casa, et d’autres lignées bien sûr, Deleuze, Stengers et toutes celles et ceux qui tentent entre les plis.

1. pour reprendre un terme d’éducation populaire, notamment dans le cadre de la fabrication de conférences gesticulées [↩]
2. et article sur nos modes d’enquête à paraître en 2022 [↩]

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